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LES MIGRANTS : En quoi cela nous concerne nous Praticiens Hospitaliers ?
LES MIGRANTS : En quoi cela nous concerne nous Praticiens Hospitaliers ? Le 6 avril 2018 L’INPH a organisé à Paris un colloque « Santé et migrants » en collaboration avec Médecins du Monde,
l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, le Centre d’Economie de Paris Nord et l’Espace Ethique d’Ile de France 1.
La santé, tout le monde sait peu ou prou ce que c’est ..encore que ? Savons-nous tous que la santé déborde largement du cadre de la guérison d’une pathologie, de la prévention d’autres, de l’attention et de l’accompagnement du patient ? La santé s’applique à un champ plus global, celui du bien être en soi, avec soi, avec les autres et dans le monde. Ainsi apparaît la dimension politique de la santé 2.
Quant aux migrants, que savons-nous d’eux, au-delà des images les montrant marchant le long des routes, entassés dans des camps3 ou dormant dans la rue ? Des personnes migrantes, nous avons des images mais très peu de paroles, parfois une expérience en tant que médecins hospitaliers, souvent une opinion en tant que citoyens. Des personnes migrantes, nous avons surtout des informations qui tournent en boucle brassant des peurs sécuritaires des indignations moralisantes (ne viennent-ils pas en France pour profiter de notre couverture santé et vivre aux frais de la république ?) et, admettons-le, des rejets identitaires . Des ressentis, qui, s’ils s’avéraient être des faits, mettraient en péril la République ... Ainsi s’impose la dimension politique de la prise en charge de la santé des migrants.
En quoi cela nous concerne-t-il, nous, médecins hospitaliers ?
1) Nous sommes concernés car nous sommes médecins.
A ce titre, nous nous devons de nous assurer que ces hommes et ces femmes qui sont devant nos yeux ne sont pas en danger physique ou psychique4, et que leur prise en charge n’est pas entravée du fait de leur statut de migrants 5
Les personnes migrantes ne sont pas des personnes malades (les malades ne sont pas partis ou alors sont morts en chemin), et leur choix de destination repose en premier lieu sur la langue parlée puis sur les réseaux que la personne migrante y connaît et enfin sur la flexibilité du marché du travail 6 (rappelons que les migrants viennent en Europe pour y travailler).. quoiqu’il en soit il n’ont ni le besoin ni le projet de bénéficier de notre système de santé.
En revanche, les conditions de migration et d’accueil les rendent malades.7
Les personnes migrantes relèvent de l’AME ( aide médicale d’état) tant qu’elles n’ont pas régularisé leur situation 8. (obtention d’un titre de séjour ou du statut de réfugié). Or les faits montrent que l’accès à l’AME est difficile (jusqu’à 80%de taux de non recours) , engendrant un retard d’accès aux soins.
Ils souffrent en arrivant des pathologies de la précarité, minimes (infections cutanées, fractures, troubles digestifs ..) 9 et de problèmes psychiatriques ( troubles anxio-dépressifs. : 1/3 ont subi ou ont été témoins de violences, les ¾ sont isolés et la majorité a effectué un voyage très long , d’une durée moyenne de 19 mois. Et quand il s’agit de femmes, les répercussions sur les enfants qui les accompagnent sont majeures). Mais, avec le temps , les difficultés d’accès aux soins et les conditions de vie, les pathologies organiques se compliquent, beaucoup plus délabrantes et les pathologies psychiatriques de la précarité se surajoutent, beaucoup plus lourdes (psychoses, bipolarité, addictions). A contrario, dès que les conditions de vie s’améliorent, le risque de problème psychiatrique devient semblable à celui de la population générale indiquant qu’il est conjoncturel (lié à l’histoire migratoire) et non structurel (pas de population de psychopathes génétiquement déterminée).
A l’échelle politique, le non accès des migrants à la santé se double d’un non accès au pays lui-même . La fermeture des frontières a un effet certain sur la santé des migrants : 2%.
2% c’est le taux de mortalité de la route migratoire, en mer méditerranée 10. En Europe, chaque fermeture de frontière se solde par une ouverture de marché pour les passeurs, eux dont le commerce est celui de l’être humain. ..une autre contribution aux 2%.
2) Nous sommes concernés parce qu’il existe un frein à l’action des soignants/acteurs qui accompagnent les personnes migrantes dans leur accès aux soins.
Tous disent exercer dans les limites du droit commun, et ressentir une présence extrêmement prégnante et intrusive du ministère de l’intérieur dans l’exercice de leurs fonctions, pourtant par nature indépendantes et au service de l’individu. Ils témoignent d’ un quotidien émaillé d’imprévus et d’expériences de la violence, mais plus encore de la conscience aigüe d’un grand manque de moyens pour répondre à leurs missions, de questionnements sur le sens de leur action , notamment politique.. Mais ils tiennent (ils résistent ?) par satisfaction éthique, sens retrouvé, colère, rage…. Soigner les migrants demande un surplus d’énergie psychique dont le corollaire est l’épuisement .
3) Nous sommes concernés parce que nous sommes agents de service public et à ce titre outils de la démocratie11 . L’accès aux soins donne la possibilité aux individus en situation de précarité de dépasser l’urgence, d’acquérir une autonomie, de construire leur avenir et de réaliser leurs projets12. Somme toute d’accéder à la liberté de vivre en individus responsables. Ainsi, que nous le voulions ou pas, notre statut de médecins hospitaliers a lui aussi une dimension politique.
Or la question de la santé des migrants est une question d’accès à la démocratie, et non pas d’accession à l’assistanat. L’accès à la santé des personnes migrantes relève d’un accès aux droits mis en place par la démocratie, au service de la personne et de la population.
Mais l’AME est un dispositif parallèle à celui de la sécurité sociale, distinct , à rebours de l’évolution de la couverture sociale en France qui, elle, n’a cessé d’être inclusive. Pourtant, nous l’avons vu plus en amont, les migrants ne représentent pas un groupe particulier d’un point de vue médical : leur particularité est liée aux raisons de leur migration et donc de nature politique, économique, sociale, mais elle n’est certainement pas sanitaire.
L’AME représente 0,46% des dépenses de santé et il existe un taux de non recours de 80%. Comment, avec ces chiffres, l’AME pourrait-elle contribuer à , voir provoquer la faillite de la Sécurité Sociale et être l’objet de fraudes 13 14 (car sans accès, comment frauder ?). En revanche, ne pas donner accès à la santé aux migrants coûte beaucoup plus cher à la société.
Pourtant l’AME , insuffisante pour les uns (qui n’y ont pas accès), est insupportable pour les autres (« un pognon de dingue »).
En conclusion, nous devons nous poser une question, une seule : pourquoi l’accès des migrants à la santé est-il un problème ?
Au nom de quoi ces hommes et femmes n’auraient pas accès à des soins qui sont possibles et disponibles ?
Alors que toutes les données, médicales, économiques, sociales, politiques convergent pour démontrer que le seul problème est le non accès et ses conséquences ?
Alors qu’une approche positive de la solidarité privilégiant l’accès au système général pour tous (mêmes prestations pour tous et fin du système d’exception qu’est l’AME) permettrait tant de réduire les dépenses, immédiates (budget de fonctionnement de la sécurité sociale) et à moyen terme (diminution des surcoûts liés à une prise en charge tardive) que de renforcer la cohésion sociale à long terme (par une amplification du bien-être social ressenti)15 ?
Pourquoi ?
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L’intégralité du colloque filmé est accessible sur ce lien : http://www.espace-ethique.org/ressources/captation-integrale/sante-des-migrants-enjeux-ethiques-politiques-et-de-societe
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Déclaration universelle des droits de l’homme, article 25 : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé., son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires .... ;. » Constitution de l’OMS « La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain .. »
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MAG INPH8 http://inph.org/un-pas-de-cote-prendre-soin-dans-un-camp-de-refugies-un-jour-a-grande-synthe
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Articles CSP : R.4127-9: Tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril ou, informé qu’un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires R.4127-43 CSP : Le médecin doit être le défenseur de l’enfant lorsqu’il estime que l’intérêt de sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage.
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Articles CSP : R.4127-2 Le médecin, au service de l’individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité. Le respect dû à la personne ne cesse pas de s’imposer après la mort.
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Table ronde 2 : Sante des migrants , miroir de la société : Philippe Batifoulier, Professeur, Centre d’économie de Paris Nord, Université Paris 13 ; François Gemenne, Directeur Exécutif du programme de recherche interdisciplinaire « Politiques de la Terre » à Sciences Po (Médialab), Modérateur: Bertrand Weil, Médecin, rapporteur de l'avis 127 du CCNE « Santé des migrants et exigence éthique » (16 octobre 2017).
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table ronde N°1 : Françoise Sivignon, Médecin, Présidente de Médecins du Monde ; Andrea Tortelli, Psychiatre, pôle GHT psychiatrie Précarité de Paris, Hôpital Sainte Anne (Paris) ; François-Xavier Schweyer, Sociologue, Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (EHESP) ; Modérateur : Olivier Bouchaud, Médecin, responsable du DIU « La santé et les migrants », Université Paris 13
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François Gemmenne « Nous sommes collectivement comptables et responsables des décisions des migrants, car cette mortalité est liée aux obstacles qu’érigent face aux migrants les états dont nous sommes tous citoyens »
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Philippe Batifoulier, « Faire payer le patient : une politique absurde », Revue du MAUSS, 2013/1 n° 41, p. 77-92
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(IGAS 2010-M-065-03 : analyse de l’évolution des dépenses au titre de l’aide médicale d’état). 54 cas de fraude à l’AME en tout et pour tout en 2014..
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CNLF, comité national de lutte contre la fraude 09/2016.
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P. Batifoulier, Capital santé. Quand le patient devient client, La découverte, 2015.